Limiter le gaspillage tout en préservant la sécurité alimentaire

Une équipe de l’INRA identifie neuf leviers d’action pour limiter les pertes et gaspillages alimentaires en milieu urbain tout en préservant la sécurité sanitaire. Les chercheurs alertent notamment sur l’effet contre-productif sur le gaspillage à la source d’une politique trop soutenue du recyclage des bio-déchets en aval.

Publié le 24 juin 2016

Limiter le gaspillage tout en préservant la sécurité alimentaire

Les pertes et gaspillages alimentaires sont associés essentiellement aux étapes de distribution et de consommation et, du fait de la concentration urbaine, ils se produisent principalement en ville. Au niveau européen, sur un total de denrées perdues de 173 kg par an et par habitant, 70% sont imputables à ces étapes de distribution et consommation, et les bio-déchets sont peu ou mal valorisés.

Partant de ce constat, l’étude menée par l’INRA avait pour but d’identifier, en s’appuyant sur un groupe d’experts internationaux, « les besoins de connaissances, méthodes et d’outils soulevés par les évolutions à venir et ainsi anticiper, stimuler et accompagner les actions de recherche pour une alimentation plus durable dans un contexte d’urbanisation croissante. »

Neuf leviers d’action

Les chercheurs ont ainsi identifié neuf leviers déjà portés à travers le monde par divers acteurs (État, collectivités, entreprises ou consommateurs) pouvant favoriser la réduction du gaspillage alimentaire en ville.

1. Des outils économiques et financiers. « Ces outils (incitation, redevance, taxe, etc.) mis en place dans le cadre des politiques publiques, visent à inciter les différents opérateurs (foyers, restaurateurs, collectivités, gestionnaires de déchets, etc.) à la réduction à la source ou à la valorisation des pertes alimentaires », soulignent les auteurs.

2. L’assouplissement des cahiers des charges de la grande distribution permettraient d’ouvrir le marché aux produits ayant des défauts d’aspects par exemple.

3. Le retrait progressif des aliments de la commercialisation permettrait de proposer des solutions alternatives pourles produits proches de leur date de péremption (déstockage, dons, etc.).

4. La répartition de la responsabilité entre les acteurs : « le droit relatif à l’alimentation s’est renforcé et engendre une certaine peur juridique. Les industriels imposent parfois des dates de péremption volontairement courtes ou cherchent à s’assurer de la destruction effective des aliments jetés. Des lois de type « loi du bon samaritain », dédouanant le producteur ou le distributeur de sa responsabilité dès lors que le produit est donné est adoptées par certains pays », expliquent les auteurs.

5. Des règles d’urbanisme et le développement d’infrastructures adaptées pour faciliter la collecte de biomasse, l’agriculture ou l’élevage urbains, et encadrer des nouveaux modes de consommation comme le troc, la vente de repas entre particuliers…

6. Des innovations technologiques pour permettre de maîtriser les flux alimentaires et contrôler la péremption des aliments (par exemple des emballages « intelligents » avec puces fraîcheur, détection des altérations, ou des appareils ménagers connectés (le frigo qui aide à gérer les stocks, etc.)).

7. L’exploitation collaborative des données pour gérer au mieux les flux : parexemple le partage d’informations en temps réel sur mes invendus proches de la date limite de consommation avec les associations de proximité.

8. Des technologies de valorisation des aliments non consommés et des déchetspour l’alimentation animale, la production d’énergie, le compostage et épandage ou la chimie verte.

9. Les actions de sensibilisation, de formation et d’éducation de tous les publics.

Trois scenarii à l’étude

Le groupe d’experts a ensuite confronté ces leviers à 3 scénarii contrastés d’évolution des villes : concentration urbaine et mondialisation, villes en réseau et croissance verte, villes en repli et économies de partage.  Si la plupart des leviers peuvent être mobilisés dans tous les scénarii, les moyens de leur mise en place varient fortement selon les caractéristiques du contexte urbain.

Par exemple, le recyclage des bio-déchets alimentaires dépend du déploiement de technologies d’ampleur industrielle dans un contexte de métropole mondialisée, alors que, dans un contexte de villes moyennes en réseau favorisant la croissance verte, il s’appuiera sur le déploiement local d’une économie circulaire, soutenu par des règles d’urbanisme et des infrastructures portées par les collectivités. En amont de la consommation alimentaire, la limitation de la production de déchets alimentaires à la source peut profiter des opportunités offertes par la proximité dans les deux derniers scenarii. Le développement de technologies minimales et économes ainsi que la mise en place de règles encadrant agriculture urbaine et nouvelles pratiques d’approvisionnement (troc, préparation de repas à la demande, etc.) sont aussi susceptibles de limiter le gaspillage à la source dans le cas de ville en repli.

Sécurité alimentaire et politique

Dans tous les cas, les mesures favorables à la réduction du gaspillage à la source devront être cohérentes avec les exigences de sécurité sanitaire, tout comme les risques liés à la diffusion de contaminants peuvent être un frein à la mobilisation des bio-déchets à des fins agricoles ou pour des usages énergétiques, chimiques ou de produits bio-sourcés. D’autre part, les auteurs notent que les mesures incitatives à la valorisation et au recyclage des bio-déchets peuvent diminuer l’impact de l’objectif prioritaire affiché par les politiques publiques actuelles : la réduction avant tout du gaspillage à la source.

Source : INRA

AC, avec INRA

 

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