DHA, EPA : deux acides gras oméga-3 à longue chaîne
Véritables vedettes de l’alimentation, les acides gras omega-3 préviendraient de nombreuses pathologies. Sous quelles formes se présentent-ils ? Ou les trouver ? Comment notre corps les synthétise ? Quels sont leurs effets sur notre sante ? Focus sur deux d’entre eux : les acides docosahexaénoique (DHA) et eicosapentaénoique (EPA), deux acides gras omega-3 à longue chaîne.
Constituants des membranes cellulaires, les acides gras polyinsaturés (AGPI) ont un rôle fondamental dans le métabolisme cellulaire. N-9, n-7, n-6 : il en existe de plusieurs types mais la famille n-3, les fameux acides gras oméga-3, reste la plus célèbre (cf. figure 1).
Les sources d’oméga-3
Les familles d’AGPI oméga-3 et oméga-6 sont dites « essentielles », car l’organisme humain en a besoin mais n’est pas capable de les synthétiser. Il doit donc les trouver dans l’alimentation. Par exemple, l’acide apha-linolénique (ALA), le plus connu des acides gras oméga-3, est issu des végétaux terrestres. Pour assurer un apport alimentaire suffisant, il est conseillé d’assaisonner les salades avec des huiles végétales (colza, soja, lin ou noix) riches en ALA.
D’autres AGPI oméga-3, notamment les acides gras oméga-3 à chaîne longue (AGPI-LC n-3) comme les acides eïcosapentaénoïque (EPA) et docosahexaénoïque (DHA), peuvent être produits directement à partir de l’ALA (cf. figure 1). Cependant, l’ALA est extrêmement « catabolisable » et se retrouve très faiblement converti en DHA : « moins de 1 % est converti en DHA », rapporte l’Anses [1].
L’apport exogène de DHA est donc tout aussi indispensable, comme l’ont confirmé plusieurs données obtenues à la fois chez l’animal et chez l’Homme. Par exemple, « le statut corporel en DHA des enfants nourris avec des préparations n’apportant que de l’acide alpha-linolénique (sang, cortex cérébral) est inférieur à celui des enfants allaités au sein ou alimentés avec des préparations spécifiquement enrichies en DHA, démontrant en conséquence des capacités de synthèse endogène de cet AGPI insuffisantes au regard des besoins », indique le rapport de l’Anses de 2011. Pour favoriser l’apport en acides gras oméga-3 à chaîne longue, il est conseillé de consommer deux portions de poisson par semaine, dont une à forte teneur en EPA et DHA (tels que le saumon, le thon, le maquereau, le hareng, la sardine, l’anchois , en variant les espèces et la provenance pour permettre la couverture des besoins en nutriments, tout en limitant le risque de surexposition aux contaminants chimiques [1].
Quelle dose ?
Malgré ces conseils nutritionnels, « la consommation d’acides gras oméga-3 reste insuffisante en France, rappelle Philippe Legrand, directeur du laboratoire de Biochimie-Nutrition Humaine de l’Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Rennes, et de l’unité INRA associée. Notre consommation s’élève à peine à 140 mg/j pour le DHA. » Seuls 1,2 % des Français atteindraient les apports nutritionnels conseillés pour l’ALA ; 14,6 % pour le DHA et 7,8 % pour l’EPA [2].
Le besoin physiologique minimal en ALA est estimé à 0,8 % de l’apport énergétique (AE) pour l’adulte, soit à 1,8 g/j pour un AE de 2 000 kcal/j. L’ANC est fixé à 1 % de l’AE. Selon l’Anses [1], « les données nouvelles, en particulier celles relatives à la très faible conversion de l’ALA en DHA, ont conduit à fixer le besoin physiologique minimal à 250 mg/j pour un adulte (soit 0,113 % de l’énergie), valeur deux fois plus élevée que celle suggérée en 2001. » L’Agence a donc établi pour le DHA, un ANC de 250 mg/j
Les données bibliographiques (études épidémiologiques et cliniques) liées à la prévention des différents risques pathologiques ont conduit l’Anses à établir en 2011 des ANC de 250 mg/j pour le DHA et de 500 mg/j pour la somme EPA + DHA. Par soustraction à partir des ANC fixés pour cette somme, les ANC en EPA ont également été fixés à 250 mg/j. (cf. tableau 2, p. 45).
La place des oméga-3 dans la prévention cardiovasculaire
« Les études épidémiologiques et les essais d’intervention montrent que la consommation de poisson ou d’EPA et DHA diminue la mortalité cardiovasculaire, précisait l’Anses dans son rapport de 2011 [1]. Ces effets sont observés pour des apports compris entre 0,4 g/j et 1,8 g/j d’AGPI-LC n-3 (EPA-DHA) chez des patients avec des antécédents vasculaires, mais ils sont moins bien documentés en prévention primaire. »
Par ailleurs, s’agissant des effets liés à une supplémentation en EPA et en DHA sur l’hypercholestérolémie, les résultats sont contradictoires, avec probablement une hausse transitoire de l’HDL et du LDLcholestérols. L’Anses insiste donc sur le fait que « la prévention des maladies cardiovasculaires repose surtout sur des mesures hygiéno-diététiques, combinant une alimentation variée et équilibrée à la pratique d’une activité physique. »
Les déficits en oméga-3 ont des conséquences réversibles
Dans une publication datant de 1982 [4], Holman rapporte un cas de carence en AGPI n-3 observé chez une fillette ayant reçu par voie entérale une émulsion dépourvue d’acide alpha-linolénique et déséquilibrée dans le rapport 18:2 n-6/18:3 n-3. « En 5 mois, l’enfant a présenté des troubles neurologiques atteignant à la fois le système sensoriel et moteur (torpeur, engourdissement, faiblesse à marcher, modification de la propagation de l’influx nerveux, vision voilée). Ces symptômes n’étaient pas irréversibles car la réintroduction d’acide alpha-linolénique à hauteur de 0,54 % de l’apport énergétique les faisait disparaître rapidement (quelques mois), tout en corrigeant le statut plasmatique en DHA. » D’autre part, il a été mis en évidence que chez le nouveau-né, « la consommation de laits infantiles pauvres en AGPI n-3 totaux, conduisait à diminuer la concentration en DHA dans les membranes érythrocytaires et à un retard dans le développement des fonctions visuelles. Un apport équilibré en acide alpha-linolénique permettait alors de corriger ces atteintes neurosensorielles [5] », expliquait l’Anses en 2001.
Les acides gras oméga-3 sont donc nécessaires au développement et au fonctionnement de la rétine, du cerveau et du système nerveux. Ils sont même primordiaux chez la femme enceinte, la femme allaitante ainsi que chez l’enfant.
DHA : un rôle crucial dans le fonctionnement cérébral et la vision
Les recherches scientifiques ont montré que le DHA est un constituant majeur de la structure et du fonctionnement cérébral et visuel. De fait, « la rétine et le cerveau sont les deux tissus de l’organisme les plus riches en DHA », confirme Lionel Brétillon, directeur de recherche INRA à Dijon. Le DHA représente plus de 20 % des acides gras totaux (AGT) du cerveau, 15 % des AGT de la rétine et jusqu’à 60 % des segments externes des photorécepteurs de cette dernière. Son incorporation dans les tissus interviendrait dès les premiers stades de la vie, lors de la mise en place des réseaux neuronaux.
De récentes études montrent que l’EPA et le DHA jouent un rôle dans le fonctionnement cérébral des adultes, notamment au cours du vieillissement. Une alimentation riche en oméga-3 aurait un effet positif sur le maintien de la santé mentale et permettrait de limiter les troubles de l’humeur (notamment le stress ou la dépression), voire les démences dont la maladie d’Alzheimer. Les études PAQUID (1988) et Trois Cités (1999) se sont intéressées aux causes génétiques et alimentaires du développement de la maladie d’ Alzheimer [8]. Elles ont montré qu’une consommation régulière d’aliments contenant des oméga-3 pouvait entraîner une diminution des facteurs de risque de la maladie et des démences associées. Enfin, des études ont montré que l’EPA et le DHA présentaient un effet protecteur contre la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Mais les mécanismes par lesquels les régimes alimentaires riches en oméga-3 protègent la fonction visuelle ne sont pas encore élucidés (cf. encadré).
Les oméga-3 à longue chaîne (EPA et DHA) participeraient donc au maintien de l’état de santé (notamment santé cardiovasculaire, santé cérébrale, vision). Si les apports des Français restent trop faibles, il convient de rappeler que varier ses apports en acides gras et consommer deux portions de poisson par semaine, dont une portion riche en EPA et DHA, favorisent l’apport en ces nutriments.
Le DHA, un élément essentiel de la fonction visuelle
Dans les années 1970, des études ont montré que les rétines d’animaux soumis à une carence en oméga-3 alimentaires étaient appauvries en DHA. Les animaux présentaient également une diminution de leurs capacités visuelles.
« Le DHA possède une structure tridimensionnelle relativement souple qui procure aux membranes cellulaires dans lesquelles il s’incorpore une certaine fluidité, explique Lionel Brétillon, directeur de recherche à l’Inra de Dijon. Et cette caractéristique biophysique facilite le codage de l’information lumineuse en influx nerveux. »
Chez l’Homme, les données sont moins claires. « Les modèles animaux de carences extrêmes en oméga-3 ne sont pas reproductibles, explique le spécialiste. Les études ont donc analysé l’effet d’une supplémentation en oméga-3, notamment lors du développement du jeune enfant (pendant la grossesse et l’allaitement). Sur certains paramètres, mais pas tous, il semblerait qu’il existe un léger effet bénéfique sur la fonction visuelle. »
Les données concernant l’effet protecteur des acides gras oméga-3 vis-à-vis de la dégénérescence maculaire liée à l’âge(DMLA) semblent les plus probantes. Ainsi, l’étude AREDS (age related eye diseasestudy) [6] menée dans les années 1990 aux États-Unis sur près de 5 000 personnes a mis en évidence que les habitudes alimentaires qui favorisent la consommation d’oméga-3 à longue chaîne étaient un facteur de réduction du risque de DMLA.
« De nombreuses études montrent la même tendance, confirme Lionel Brétillon. Les personnes qui consomment deux fois par semaine du poisson gras enregistrent une réduction du risque de développer une DMLA de 30 à 40 %. » Les mécanismes de cetteprévention n’ont pas encore été élucidés. Ceci ne passerait pas par une simple incorporation des oméga-3 ingérés au sein des membranes cellulaires de la rétine. «« Il n’y a pas d’association directe entre le DHA circulant au sens large et le DHA de la rétine chez l’adulte, confirme le spécialiste.
Nos études ne montrent pas non plus de lien entre, d’une part, la teneur en DHA de la rétine et, d’autre part, celle du tissu adipeux (reflet de la consommation de DHA à long terme), des globules rouges (témoin des habitudes alimentaires à trois-quatre mois), ou encore du plasma (révélateur des habitudes alimentaires à très court terme). Les mécanismes semblent plus complexes.Des études récentes montrent néanmoins qu’il existe plusieurs profils de réponse aux oméga-3 : certains patients considérés comme « bons répondeurs » bénéficient d’une meilleure incorporation des acides gras oméga-3, notamment dans les globules rouges ou le plasma, et présentent une meilleure protection vis-à-vis de la DMLA. Des résultats qui suggèrent et confirment l’effet protecteur des oméga-3 vis-à-vis de la DMLA [7].
Références
[1] Anses. Actualisation des apports nutritionnels conseillés pour les acides gras. 2011.
[2] ONIDOL, Tressou-Cosmao J, et al. Analyse des apports nutritionnels en acides gras de la population française à partir des données INCA 2. 2015.
[3] Anses. Apports en acides gras de la population vivant en France et comparaison aux apports nutritionnels conseillés définis en 2010. 2015.
[4] Holman RT, et al. Am J Clin Nutr. 1982 ;35 :617-23.
[5] Guesnet P, Alessandri J. Cah Nutr Diét. 1995 ;30 :109-16.
[6] The Age-Related Eye Disease Study 2 (AREDS2) Research Group. JAMA. 2013; 309:2005-15.
[7] Souied EH, et al. Ophtalmology. 2013;120:1619-31.
[8] Barberger-Gateau P, et al. J Alzheimer Dis. 2013 ;33(Supp 1) :S457-463.